Le peuple et la démocratie du même pas

Inigo Errejon est l’intervenant idéal pour analyser l’excellente surprise de Podemos. Il en a été le directeur de campagne pour les dernières européennes. Le mouvement créé en janvier dernier, transformé en parti en mars a totalisé 1,3 million de voix et obtenu 5 sièges. Il s’est imposé en quatre mois d’existence comme la cinquième force politique du pays. Depuis les élections de mai, des études l’ont même hissé à la 3e voire la seconde place. Un premier congrès devrait se tenir en octobre mais dans l’intervalle de trois semaines – sans attendre l’élaboration de statuts -, les adhésions se sont multipliées pour atteindre la barre des 100 000 adhérents…

La bataille pour les élections européennes a recréé des espaces dont Podemos veut occuper le centre avec pour perspective, gagner les élections et contribuer à (re)construire un peuple. Le terme de Podemos (nous pouvons) est en soi un programme, celui de redonner confiance dans une alternative que les néolibéraux et les sociaux-démocrates déclarent à chaque occasion impossible.
Ce lien entre peuple et démocratie est également le fil rouge du débat a priori technique sur la « Réforme territoriale ou la 6e République ». Elle est encore assez imprécise mais la philosophie de ses grandes lignes semble suffisamment claire. Globalement, comme l’a exposé Nicolas Kada, professeur de droit public et directeur du Centre d’Etudes et de Recherche sur le Droit, l’Histoire et l’Administration, il s’agit de réduire les régions de 22 à 13 au 1er janvier 2016, d’imposer une intercommunalité (avec une population minimum de 20 000 habitants au 1er janvier 2018 contre 5 000 aujourd’hui) et de supprimer les assemblées départementales que sont les conseils généraux en 2020. Ce qui s’apparente à un dépeçage lent, mais persévérant de la démocratie locale.
Les intervenants exprimeront tour à tour leur perplexité devant les arguments avancés pour justifier cette réforme, que ce soit ceux relatifs à la taille (soit-disant trop petite) des régions ou le coût fantasmé du « mille-feuille ». Cécile Cuckerman, sénatrice PCF, souligne elle que, significativement, le mot décentralisation a peu à peu laissé place à celui de « réforme territoriale » dans le discours gouvernemental. Ce changement de vocabulaire est à prendre au pied de la lettre : la décentralisation induit un rapprochement du pouvoir et du citoyen totalement en opposition avec une réforme du territoire qui tend à éliminer en les diluant dans de vastes ensembles par ailleurs loin d’être homogènes les pouvoirs locaux définitivement hors de portée du citoyen lambda. Les répercussions seront sensibles à tous les niveaux de la vie quotidienne de chacun avec la disparition de services publics et leur remplacement partiel par le privé si rentabilité il y a.
Pascal Troadec (maire adjoint PS) voit dans l’opération de cette « mère des réformes » selon Valls la volonté technocratique de substituer au champ du politique celui de l’administratif. Mathieu Dupas qui enseigne le droit constitutionnel et parlementaire dans le même esprit souligne que cette réforme vise à casser l’idéal républicain. En ce sens, il s’agit bien d’une réforme (dé)structurante dont le but ultime ne pourra être que la suppression pure et simple de la commune qui est la cellule sociale démocratique de base. Face à cette entreprise dévastatrice, la 6e République s’impose avec une nécessité accrue. En Espagne, en France, et la liste pourrait s’allonger, selon des modalités différentes, la démocratie et la reconstruction des peuples est à l’ordre du jour et marchent du même pas.
Jean-Luc Bertet