Jeudi 26 Février 2015
Martine Billard, Secrétaire Nationale à l’international
Crédit photo photosdegauche.fr (Stéphane Burlot)
Depuis hier les médias se déchaînent pour annoncer que le gouvernement grec d’Alexis Tsipras a dû céder devant les exigences de Bruxelles. Reconnaître que la Grèce ait pu un tant soit peu tenir tête à la troïka et tout le discours sur l’impossibilité d’autres choix économiques serait invalidé. Or l’ultimatum largement imposé par la troïka et Berlin conduisait Alexis Tsipras et son gouvernement à une situation difficile : rompre immédiatement – avec la sortie de l’euro à la clé ce qui n’était pas dans les engagements pris devant le peuple Grec, et dans des conditions non préparées menaçant donc la Grèce de banqueroute à ce stade – ou chercher un compromis pour gagner du temps. C’est cette dernière solution qu’a choisi le gouvernement grec. Il a désormais quatre mois pour dégager des marges de manœuvre dans le but de mettre en œuvre son programme.
Mais les médias libéraux, laudateurs des coupes budgétaires, des baisses de salaires et pensions de retraite et de la réduction du nombre de fonctionnaires ne peuvent évidemment accepter qu’un gouvernement résiste à un tel programme. Il faut dénoncer inlassablement les mots et expressions qu’ils utilisent car ils sont révélateurs de la volonté d’écraser, de soumettre : «Tsipras se plie aux exigences de Bruxelles, «reddition de Tsipras» …
La question est donc de savoir si cet accord réduit largement ou non la capacité du nouveau gouvernement à atteindre ses objectifs à long terme : rompre avec l’austérité, relancer l’économie, en finir avec le clientélisme et l’oligarchie économique. Il ne faut pas non plus oublier ce à quoi la Grèce a échappé : les exigences de la troïka et le plan du précédent gouvernement présenté en novembre. C’est en ayant ces critères en tête qu’il faut examiner la lettre envoyée par Yanis Varoufakis, le ministre hellénique des Finances à Jeroen Dijsselbloem, son homologue néerlandais et président de l’Eurogroupe.
Quel était le contexte ?
Dès la campagne électorale, les libéraux européens ont martelé que quel que soit leur vote les grecs devraient respecter les mémorandums précédemment imposés. Le gouvernement allemand d’Angela Merkel avec son ministre des finances Wolfgang Schaeuble n’ont qu’un mot à la bouche, nein à tout ce qui pourrait remettre en cause la suprématie économique allemande sur la zone euro.
Aussi, à peine Alexis Tsipras nommé 1er ministre et son gouvernement constitué dans la foulée le 27 janvier, la finance a lancé l’offensive en organisant une fuite massive des capitaux : jusqu’à 500 millions d’euros de retraits par jour et même 1 milliard le vendredi 20 février. La BCE annonçait le 4 février l’arrêt du refinancement des banques grecques pour le 28 février en cas de refus du plan d’extension du mémorandum. Dans les exigences qui avaient été acceptées par le précédent gouvernement, celui du premier ministre Samaras à la tête d’une coalition Nouvelle Démocratie Pasok, figuraient de nouveaux licenciements de fonctionnaires, une nouvelle baisse des salaires et des pensions de retraite, l’augmentation de la TVA sur les produits alimentaires et les produits pharmaceutiques ainsi que sur les infrastuctures touristiques. A chaque fois c’est la troïka qui fixait les réformes et Samaras se contentait d’approuver. Siryza pendant sa campagne s’était engagé à rejeter ces demandes et à remettre en cause la dette illégitime en portant des propositions connues comme le programme de Thessalonique
https://www.lepartidegauche.fr/actualites/actualite/programme-syriza-31257
Où en est-on après moins d’un mois de gouvernement d’Alexis Tsipras ?
Le peuple grec a relevé la tête. 83% approuve les premiers pas du gouvernement. Certes, ce dernier n’a pas réussi à briser totalement la main mise de la troïka sur les politiques mises en oeuvre, mais il a bataillé ferme dès les premiers jours et retrouve une certaine autonomie dans le choix des mesures à prendre. Parmi celles-ci :
⁃ les engagements de Samaras ont été abandonnés et rien que cela est énorme car cela signifie une bouffée d’espoir pour toutes celles et ceux qui ne vont pas perdre leur travail ni voir salaires et pensions de retraite baisser, ni prix à la consommation augmenter. Bien évidemment tous les admirateurs des programmes d’austérité européens se gardent bien de souligner cette victoire remportée par le nouveau gouvernement grec.
⁃ L’annonce d’une réforme fiscale pour faire payer les plus riches, limiter les exonérations de TVA dans un souci de justice fiscale, lutter contre la fraude fiscale, contre l’évasion fiscale, contre la contrebande du tabac et de l’essence, contre la corruption. Tout cela correspond à la volonté de s’attaquer à l’oligarchie telle que indiquée dans le programme de Thessalonique ce que certains médias décrivent sous le vocable « la Grèce vient de rentrer dans le rang ». Nous aurions tant voulu que Hollande rentre dans le rang en mettant en oeuvre une réforme de justice fiscale ! Mettre en place une législation pour obtenir les remboursements d’arriérés fiscaux et sociaux (prévu par le programme de Thessalonique)
⁃ Lutter contre le clientélisme dans l’administration et améliorer la grille salariale pour plus de justice sociale. Réduire le nombre de ministères de 16 à 10 et le nombre de conseillers spéciaux ainsi que les avantages sociaux des ministres, députés et hauts fonctionnaires (voitures, frais de déplacements, indemnités ..)
⁃ Éviter les ventes aux enchères de la résidence principale des ménages en dessous d’un certain seuil de revenu et prendre des mesures pour soutenir les ménages les plus vulnérables qui sont incapables de rembourser leurs prêts. L’expulsion des ménages ayant des dettes est exigée par la troïka depuis longtemps. Samaras a cédé sur ce point il y a plusieurs mois, acceptant ainsi de jeter des milliers de ménages à la rue. Un engagement sur ce point est donc très important.
⁃ Répondre aux besoins découlant de la hausse récente de la pauvreté absolue (accès insuffisant à la nourriture, le logement, les services de santé et la fourniture d’énergie de base) au moyen de mesures non pécuniaires très ciblées (par exemple coupons alimentaires).
⁃ Prévoir d’étendre le système de revenu garanti minimum à l’échelle nationale.
⁃ Améliorer les prestations et la qualité des services médicaux, tout en accordant l’accès universel.
Voici des mesures qui répondent aux attentes de toute la population.
A côté, il est indéniable que le gouvernement a reculé sur l’engagement de revenir sur les privatisations déjà effectuées ou en cours dont le cas le plus emblématique est le port du Pirée. Mais en précisant que les privatisations en cours seront revues au regard de la loi, le gouvernement envoie un clair message de refus du bradage des biens publics tel qu’il a été pratiqué par le précédent gouvernement. La réembauche des fonctionnaires licenciés a disparu et pour le moment la renégociation de la dette n’est pas mise sur le tapis. Voilà les reculs. De son côté, l’augmentation du salaire minimum est annoncée mais ni le montant ni le calendrier ne sont précisés.
Christine Lagarde au nom du FMI « Nous notons en particulier qu’il n’y a pas d’engagement clair à engager les réformes prévues du système de retraite et de la TVA » et Mario Draghi, président de la BCE « Les engagements dessinés par les autorités diffèrent des engagements existant du programme dans un certain nombre de domaines » ont eux bien compris la rupture que représente cet accord avec les exigences précédentes de la troïka.
Au final, le compromis rogne quelques unes des promesses phares de Syriza, d’autres sont conservées sous forme de principe mais sur le fond Alexis Tsipras a conservé l’ambition des 4 piliers du programme de Thessalonique et il a imposé son programme humanitaire (accès à l’alimentation, au logement, à la santé et à l’énergie) à l’Eurogroup. Il a remplacé les diktats de la troïka par une coopération. Tout cela en moins d’un mois et alors que le gouvernement grec fait front tout seul contre le reste de l’Union Européenne dont les gouvernements n’ont aucun intérêt à ce qu’il réussisse car dans ce cas leurs propres peuples pourraient se lever pour exiger eux aussi l’arrêt de l’austérité.
Alexis Tsipras en s’adressant au peuple grec à la suite de cet accord a eu cette expression : « nous avons remporté une bataille, mais pas la guerre. Les vrais difficultés .. se trouvent devant nous ».
Il a raison : tout commence en réalité. Ce sont les quatre mois à venir qui donneront la lecture de ce compromis. Pour que le peuple grec puisse faire face à ces difficultés et que le gouvernement grec puisse mettre en œuvre tous ses engagements de campagne, c’est le rapport de force au niveau européen qu’il faut changer.
Ne les laissons pas seuls. Ils ont besoin de toute notre solidarité, de toute notre mobilisation pour faire plier les divers gouvernements des pays de l’Union Européenne.
via Le Parti de Gauche » Grèce • Un répit de 4 mois pour améliorer le rapport de force.