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Ebauches d’une société de post-croissance

Samedi 1 Novembre 2014

 

Lcroissance_doca religion économique a son mantra : la croissance. Le PIB qui la mesure a doublé une première fois mondialement en 43 ans (1870-1913) puis une nouvelle fois en 25 ans seulement (1973-1998) et encore très récemment en à peine 12 ans (1998-2010). La journaliste Marie-Monique Robin (que l’on connaît entre autres pour ses docs « Le monde selon Monsanto » ou « Torture made in USA »…) s’est penchée cette fois sur cette « Sacrée croissance ! » (diffusée mardi 4 novembre à 20.50 sur Arte et redif. le 7/11 à 8.55), plus précisément sur comment en sortir.

 

Elle a ainsi rapporté des images d’expériences qui, à différentes échelles, se veulent précurseures d’un monde débarrassé d’une obsession non seulement obsolète mais mortifère. Car, depuis 30 ans, parallèlement à la progression du PIB, l’indice de l’inégalité des revenus a progressé de 10%. Ainsi les 1% les plus riches détiennent 40% des biens planétaires et 900 millions de personnes souffrent encore de la faim. A cette inefficacité incontestable qui prend à rebours les bienfaits attendus du productivisme, il faut ajouter les conséquences catastrophiques pour l’environnement de cette course à la croissance. Une augmentation du PIB par habitant de 2300 euros se traduit ainsi par l’augmentation annuelle de l’émission d’une tonne de CO2 par habitant.

regle_vertePour enrayer – à leur niveau – la machine infernale, la journaliste nous donne à voir comment des Canadiens de Toronto, des Argentins de Rosario se sont lancés dans l’agriculture urbaine. Relocaliser pour contourner les transports, être le plus indépendant possible en matière alimentaire les ont conduits à devenir maraîchers des villes sur des terrains collectifs, parfois communaux. Les premiers sont jeunes, parfois archi-diplômés, les seconds ont été jetés à la rue, victimes de la crise et tous ont en commun la volonté d’inverser le rapport à la croissance, « accélérateur de pression écologique ». L’agriculture industrielle nécessite 7 calories d’énergie pour produire 1 calorie alimentaire. Leurs produits sont bio, moins chers de 20-30% de ceux que l’on trouve dans les supermarchés et la production est dimensionnée à la demande, jamais en surplus.

 

Ce qui vaut pour l’agriculture vaut pour l’énergie. Sur l’île de Samsö, au Danemark, les habitants ont décidé de relocaliser la production d’énergie. Panneaux solaires, éoliennes, centrale thermique alimentée par la paille des exploitations environnantes sont propriétés collectives – coopératives, associations – et couvrent non seulement les besoins des insulaires mais génèrent des profits avec la revente au continent des excédents d’électricité produits. Une véritable démocratie énergétique locale a vu le jour qui tend à redéfinir les communs – l’eau, l’air, l’environnement, l’énergie – confisqués comme on le sait dès le 17e siècle par les possédants (avec les enclosures qui privatisaient les terres communes et en excluaient les pauvres).

 

Au Népal, l’effort est identique. Comparé à l’opulent Danemark, il s’agit pourtant d’un des pays les plus pauvres de la planète. Dans un village perdu dans la montagne, les habitants ont donné deux mois de leur travail et une petite somme d’argent pour s’équiper d’une micro-centrale hydraulique. La collectivité est désormais autosuffisante en énergie. Le pays quant à lui vise une énergie 100% renouvelable et 0 pollution. Ce qui laisse songeur face aux multiples impossibilités évoquées ou sous-entendues qui émaillent les discours politiques productivistes européens ou américains.

 

Sixième république écoloC’est à Fortaleza que Marie-Monique Robin nous mène ensuite pour mettre le doigt sur le nœud du problème. Près de cette ville du Brésil, une communauté de 30 000 habitants s’est dotée d’une monnaie locale. Le palmas voisine ainsi avec le real officiel, au même cours. Mais la banque appartient aux citoyens qui peuvent ouvrir des comptes sans condition de ressources, bénéficier de crédit à la consommation à taux 0. En 15 ans, 240 entreprises ont été créées ainsi que 2 000 emplois.

 

Il y a ainsi dans le monde plus de 2 000 monnaies locales dont une vingtaine en France. Ce sont aussi des monnaies sociales parce qu’elles échangent des services entre citoyens plutôt que des objets. Toutes appartiennent à une communauté géographiquement circonscrite. Ces monnaies sont « fondantes » : elles ont une valeur limitée dans le temps, par exemple un trimestre, ce qui interdit la thésaurisation et la spéculation. Pour les restaurer, il faut alors verser un pourcentage de leur valeur (à Fortaleza, 2%) qui va aux associations locales. Le paiement en monnaie locale leur profite aussi (pourcentage sur les transactions, 5%) et favorise l’enracinement des richesses produites (on perd ces 5% si on dépense ailleurs en monnaie nationale). On comprend en outre que si le taux d’intérêt est nul, un entrepreneur n’a pas besoin de faire croître son entreprise pour rembourser ses emprunts.

 

Ces expériences locales et limitées ont le mérite de souligner l’incompatibilité du système monétaire international, de la finance, avec un mode de vie durable. Un économiste fait des grandes banques transnationales l’obstacle majeur à une transition énergétique et monétaire. Aujourd’hui, la sphère financière pèse 60 fois plus que l’économie réelle dans les échanges et se la soumet totalement. Il va de soi, comme le signale un jeune Canadien de Toronto, que ces expériences ne sauraient seules venir à bout de l’impasse dans laquelle se trouve le monde : « il faut que les politiques soient là pour créer un changement systémique. »

10336612_378288438988091_4451179807004258674_nC’est en partie le cas au Bouthan, autre petit pays pauvre de l’Himalaya. Les autorités – une monarchie – ont instauré en place du PIB le BNB (bonheur national brut). Il fait l’objet d’un enseignement dans les écoles à égalité de temps avec les disciplines académiques. Il vise à faire des citoyens à la conscience universelle et capable de résilience, loin des fantasmes consommatoires, autour de 4 fondamentaux : la nature, la diversité des cultures, des pratiques économiques soutenables, la bonne gouvernance. Conséquent avec lui-même, le gouvernement y a interdit la publicité, envisage à l’horizon 2020 une agriculture 100% bio, une empreinte carbone neutre et veille à ce que les forêts représentent 60% du territoire et que l’éducation soit gratuite pour tous les enfants. Un rêve seulement pour ceux qui n’ont pas « vraiment » commencé à « croître » ? Pas seulement. Comme le soutient Olaf Omayer, membre du GIEC, le potentiel en énergie renouvelable sur l’Europe et l’Afrique du Nord réunies pourrait satisfaire en 2050, voire 2030, 20 fois nos besoins actuels. Il y manque, on le sait, la volonté politique que la nécessité du réchauffement climatique devrait pourtant aiguillonner. Et la démocratie – à reconstruire – dont ce documentaire nous montre à quel point elle est indissociable de la gestion de tous les communs indispensables pour assurer des perspectives d’avenir à l’aventure humaine.

Jean-Luc Bertet

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